Lettre ouverte d'un ex-stagiaire

Lettre ouverte d'un ex-stagiaire
par Franc-Sois Dandurand
(Le 6 octobre 2005)

M. Pierre Beaudet,
directeur général
Alternatives
3720, avenue du Parc, bureau 300
Montréal, Qc H2X 2J1

En tant qu'ex-stagiaire du programme « Furetez dans le monde » au Chili en 1998-99, je suis atterré qu'une O.N.G. qui se réclame de l'indépendance puisse propager dans son dossier sur Haïti presque mot pour mot les propos du Groupe des 184 ou du ministère des Affaires étrangères du Canada !

Quelle pénurie regrettable de diversité dans vos sources d'information, sinon quel manque de distance face à votre bailleur de fond principal, le gouvernement du Canada.

Je dirais même : quel recul inquiétant de la part d'une O.N.G. habituellement critique et indépendante dans ses analyses, selon ce que j'ai pu observer. Je pense ici à une conférence publique qu'en tant que directeur, vous-même, M. Beaudet, aviez prononcée sur les enjeux à moyen et long terme de la politique étrangère états-unienne.

Bien avant l'invasion de l'Afghanistan menée par les États-Unis dans le but inavoué d'y faire passer un pipeline (afin d'éviter une trop grande dépendance vis-à-vis du pétrole des pays producteurs arabes et du Vénézuela, entre autres), sous de faux prétextes de soudainement vouloir éliminer le regime taliban qu'ils avaient naguère financé, ainsi que les terroristes soi-disant responsables des attentats du 11 sept. 2001, vous énonciez sans ambages les visées économiques et les enjeux géo-politiques à long terme de la politique étrangère états-unienne en Asie centrale. Votre propos était clairvoyant, limpide et prenait en considération les craintes à long terme des gourmands États-Unis face aux puissances montantes que sont la Chine, l'Inde, la Turquie et certains pays arabes et/ou islamistes, sans oublier l'acteur omposant et incontournable qu'est la Russie.

À ma mémoire, vous annonciez que Washington se livrerait à une guerre des nerfs sur le plan de la désinformation médiatique en jouant diverses cartes, dont l'affirmation de l'existence d'un « axe du mal » et la pseudo « lutte contre le terrorisme », afin de diviser ses détracteurs et justifier ses interventions économiques, politiques et militaires, pays après pays dans cette zone stratégique. Le but ultime est de contrôler, de constituer une menace, un exemple de ce qui pourrait se produire sur tous les plans pour ces états ou tout autre état susceptible d'afficher trop d'autonomie.

Cette clairvoyance et indépendance est de toute évidence éclipsée lorsque tout-e citoyen-ne le moindrement informé-e lit l'article de François L'Écuyer qui a pour titre « Militarisation de la paix en Haïti », un véritable chef-d'oeuvre de propagande gouvernementale sans fondement !

Veuillez lire les deux réactions ci-dessous, qui suivent ce courriel, si elle n'étaient pas parvenues à vous à ce jour. Ces points de vue sont éloquents sur la question haïtienne et reprennent point par point divers mensonges que M. L'Écuyer retransmet dans vos pages. Une liste de sites internet d'information sur la situation réelle en Haïti suit immédiatement au pied de ce message.

* * *

Un élément qui puisse expliquer que quelques responsables d'Alternatives aient été bernés se trouve possiblement dans un texte, dont je reprends un passage ci-dessous, et qui est signé par les 20 membres d'une mission d'investigation inter-états lucide et constituée de représentants de mouvements, réseaux et institutions sociaux, culturels et politiques.

Alternatives semble tirer du moins en partie les mêmes constats que le document, dans sa compréhension des enjeux actuels autour d'Haïti, « Premiers constats de la mission d’investigation et de solidarité avec le peuple haïtien », daté du 13 avril 2005 :

« [...] 1. Nous reconnaissons et nous saluons la lutte profonde que mène le peuple haïtien depuis plus de deux siècles ; il a résisté aux turpitudes externes et internes qui ont servi d’obstacles à l’émancipation des forces populaires constructives. Dans cet ordre d’idées, il nous paraît important de faire ressortir que la chute d’Aristide doit être interprétée à la lumière de grandes mobilisations sociales réclamant sa démission et proposant du même coup leurs propres alternatives de transition.»

Le texte est ambivalent et ne mentionne guère que ces « grandes mobilisations sociales » peuvent être attribuées directement aux « ajustements structurels » de la politique du gouvernement d'Aristide, exigées par le F.M.I., bras droit de la politique étrangère états-unienne, ainsi qu'à la phénoménale campagne de désinformation menée dans les médias haïtiens et étrangers par l'« élite » économique locale et diverses multinationales influentes hors des frontières haïtiennes.

Un tel contexte de déstructuration est sous-jacent et nécessaire à toute tentative de renversement de gouvernement ! Le phénomène est exacerbé à l'extrême lors d'un coup d'état, tel que cela s'est passé pour une enième fois sur le sol haïtien.

Votre organisme est au fait des mécanismes qui ont mené à la chute de divers régimes « trop populistes », afin de les remplacer par des dictatures et autocraties... souvent au nom de la démocratisation, et la plupart du temps appuyées par le Pentagone ! Le gouvernement d'Aristide a été l'objet d'un type de complot similaire à celui d'Allende le 11 sept. 1973, tout comme les tentatives de coup contre le gouvernement Chavez... et tant d'autres exemples que vous connaissez sûrement plus à fond que moi-même !

Comment pourriez-vous alors imaginer qu'il en aille différemment cette fois-ci dans le cas haïtien, lorsque trois pays étrangers supplantent le président élu et toujours supporté par 75 à 80 % de la population haïtienne (selon de multiples sondages, dont certains effectués par la firme Gallup) en une seule nuit ?

* * *

J'endosse entièrement la position exprimée ci-dessous par M. Rob Green et Nikolas Barry-Shaw, dans leurs textes respectifs, non sans m'être informé dans divers médias des tentatives de désinformation de la part du gouvernement intérimaire de Gérard Latortue et des soi-disant organisations de la « société civile », qui ne sont autres que le Groupe des 184 et une poignée de multinationales.

Je vous recommande également fortement de visionner le documentaire « Haiti: The Untold Story », du journaliste-réalisateur Kevin Pina, qui fournit une multitude de témoignages et preuves fondées que les « gangs armés » en question qui souhaitent empêcher la tenue d'élections libres sont bel et bien la P.N.H. (Police nationale haïtienne) et la MINUSTAH, et non le Fanmi-Lavalas (qui a toujours misé sur la voie démocratique) !

Veuillez s.v.p. vous renseigner, et ensuite soit retirer cet article de votre site ou du moins en retirer les nombreux passages sans fondement ni source fiable, tout en présentant dans votre journal ET dans votre site un erratum ou des excuses publiques. À défaut d'une action en ce sens d'Alternatives, je me verrai dans mon obligation citoyenne de déposer une plainte formelle au Conseil de presse du Québec pour manquement à l'éthique journalistique.

J'apprécierais aussi grandement que vous imprimiez dans le prochain numéro du journal Alternatives la déclaration sur Haïti du F.S.M. (Forum social mondial 2005, auquel Alternatives a activement particpé et adhéré) : http://haitiaction.net/News/FL/1_30_5.html

Espérant un geste intègre de la part d'Alternatives dans ce dossier, je vous prie, Monsieur Beaudet, d'accepter l'expression de ma reconnaissance pour le travail d'information que votre organisme a affectué depuis des lustres.

Franc-Sois Dandurand,
artiste visuel, danseur, horticulteur et citoyen engagé

[Original link: http://franc-sois.blogspot.ca/2005_10_01_archive.html]