Revisite ou rêveries? Lettre ouverte à Monsieur Pierre Dubuc du mensuel l’aut’journal
par Michel Lambert
Alternatives.ca (21 août 2008)
Monsieur,
Dans un texte paru dans l’édition de l’Aut’ Journal du 12 juin dernier intitulé Coup d’État en Haïti « revisité », vous avez repris pour vous les analyses de Peter Hallward qu’on peut lire dans son plus récent ouvrage Damming the Flood : Haïti, Aristide, and the Politics of Containment. Ce qui a failli n’être qu’une critique littéraire élogieuse du travail de recherche du professeur Hallward sur les machinations impérialistes qui ont mené au départ du président Aristide en 2004 a cependant rapidement dégénéré. Force est de constater que vous être tombé dans les analyses simplistes, les associations légères et possiblement une forme de règlement de compte contre notamment Alternatives, l’organisation que je dirige. Il apparaît évident qu’un coup de téléphone préalable à mon bureau vous aurait sans doute permis de réviser votre texte.
Coup de fatigue?
Je dois préciser de prime abord que je partage une bonne partie des conclusions de Peter Hallward. Il est de notoriété publique que le président Aristide a été victime d’un coup d’État. Alternatives avait d’ailleurs été parmi les premières organisations à le dénoncer par un texte paru à peine une semaine plus tard sous la plume de Pierre Beaudet, alors directeur de notre organisation. Dans ce texte, publié en mars 2004 dans Le Devoir et repris en espagnol par l’Agencia latinoamericana de informacion, nous mettions l’accent sur les rôles des États-Unis, de la France et du Canada dans le renversement d’Aristide de même que sur l’instrumentalisation et l’échec de l’aide internationale en Haïti. Rien de neuf de ce côté.
Mais votre relecture du texte du professeur Hallward additionne bien rapidement pommes et oranges en mettant dans le même panier les milliards de dollars ciblés du Congrès américain canalisés par l’USAID et les bien plus modestes appuis d’une organisation populaire et démocratique de solidarité internationale comme Alternatives.
Alternatives, une organisation du mouvement social québécois
Vous voyez monsieur Dubuc, un peu comme votre journal prétend le faire devant les grands médias de masse, Alternatives, justement, offre une solution de rechange à « l’industrie » de l’aide internationale. Comme vous, nos moyens sont ridicules si on les compare à ceux de l’USAID, mais c’est justement ce qui rend nos objectifs encore plus nécessaires!
Alternatives est une organisation qui regroupe au Québec plusieurs centaines de membres individuels et qui compte sur l’appui de dizaines de groupes populaires. Nous travaillons avec des organisations populaires dans une vingtaine d’États dont notamment certains pays qui traversent des moments très difficiles comme la République démocratique du Congo, l’Irak, le Pakistan, le Soudan… et bien sûr Haïti. Déjà, au lendemain du premier départ d’Aristide, nous appuyions en Haïti les groupes populaires qui réclamaient son retour. Nous avons soutenu leurs efforts afin qu’ils s’organisent, et puissent ainsi faire connaître et reconnaître leur point de vue. L’arrivée d’un nouveau média – Internet – nous a permis d’ouvrir des fenêtres démocratiques avec ces forces progressistes. De plus, nous avons entraîné ces groupes au sein de la mouvance altermondialiste internationale notamment au sein du Forum social mondial.
Laisser entendre que tout ce travail se résume à servir de valet à la politique étrangère du gouvernement canadien relève de la plus pure fantaisie!
Laisser entendre que le seul fait de travailler avec des médias alternatifs serait synonyme de complicité impérialiste équivaut à nier la propre utilité de votre journal.
Votre article enfin contient un nombre important de faussetés. Alternatives, contrairement à ce que vous mentionnez, n’a jamais entretenu de lien avec le groupe Batay Ouvriye. Autre exemple, notre projet d’appuis aux médias haïtiens n’a été conclu qu’en 2005, une année après le coup ! Surtout, il a essentiellement permis la création d’un site Web (www.mediasdhaiti.org), où sont recensés des médias de toutes tendances.
En conclusion, si les impacts dévastateurs de l’impérialisme et des politiques néolibérales sont réels et s’il est vrai que les pays donateurs ont leur ordre du jour, il est tout aussi vrai que les citoyens haïtiens et québécois ne sont pas simplement des marionnettes dans les mains des gouvernements occidentaux. Fort d’un réseau de dizaines d’organisations de par le monde, Alternatives, ses membres et ses partenaires continueront d’analyser et de critiquer les sphères politique, économique et sociale de même que le « monde du développement ». Nous continuerons d’appuyer en Haïti et ailleurs les groupes qui cherchent à bâtir cet autre monde, fondé sur un développement économique et social juste, durable et démocratique.
Michel Lambert
Directeur général
Alternatives
Voir en ligne : Pierre Beaudet sur ALAINET en mars 2004 (espagnol)